Droit français de l’intégration européenne, Edouard DUBOUT et Béligh NABLI
Droit français de l’intégration européenne, coll. Systèmes cours, Paris, LGDJ, 2015, 194 p., ISBN 978-2-275-03946-6 (Recension Annuaire de droit de l’Union européenne 2015)



document



Description
Cet ouvrage doit être apprécié en tenant compte de l’ambition que permet son volume, et de la vocation pédagogique de la collection dans laquelle il paraît. A cet égard il est remarquable, en ce qu’il représente un apport indéniable par rapport à d’autres manuels et en ce qu’il s’inscrit dans une perspective doctrinale moderne particulièrement féconde. Les auteurs affichent légitimement une originalité de l’approche qui serait inversée par rapport à la démarche habituelle. Ce n’est pas uniquement une approche bottom-up et un « centrage » sur l’Etat membre, auquel cas l’originalité serait relative, les analyses déjà classiques ne manquant pas à propos du statut d’Etat membre (on se permettra de renvoyer à notre thèse : L’article 5 du traité CEE. Recherche sur les obligations de fidélité des Etats membres de la Communauté, LGDJ, 1994, spécialement pp. 421 et s.), ou du concept d’Etat intégré (Hélène Gaudin : « L’Etat vu de la Communauté et de l’Union européenne », cet annuaire, volume 2, notamment page 248 avec la notion d’Etat intégré). Les auteurs insistent cependant sur la différenciation entre les Etats membres à laquelle ils voudraient rendre justice, l’approche précédente leur semblant trop uniformisante. D’où ce droit français de l’intégration européenne, la démarche étant ici plutôt comparable à celle du manuel classique de Joël Rideau, Droit institutionnel de l’Union européenne, LGDJ, 6° éd. 2010, dans sa 3° partie identitaire (« Les Etats membres de l’Union européenne ») qui détaille les réalités politiques et juridiques de l’appartenance de chaque Etat membre à l’Union. Le propos consiste donc ici à présenter les structures, notions, dispositions ou régimes juridiques spécialement consacrés à la participation de la France à l’Union, soit l’étude de la (ou plutôt « d’une ») « face interne du droit de l’intégration européenne ». On saluera l’apport informatif particulièrement important qui est réalisé, mais l’apport à la compréhension du système est tout aussi essentiel en ce que cette démarche s’inscrit dans une conception de l’intégration elle-même. A cet égard, on regrettera toutefois le manque d’insistance sur un élément explicatif central : le droit de l’Union est un droit commun. Cela conduit l’ouvrage à aborder souvent les problématiques comme si la dimension européenne était une dimension « externe » pour les structures d’un Etat membre, ce qui n’est pas forcément l’approche la plus appropriée. De même, dans la première partie en tous cas, comment faire ressortir l’intelligence de l’intégration européenne en évoquant à plusieurs reprises la « réception » des normes européennes ? Comment peut-on à la fois souligner que l’Etat membre est « de » l’Union, « dans » l’Union (p. 8) et à la page suivante évoquer la « réception interne » du droit de l’Union ? C’est particulièrement fâcheux pour l’analyse de la transposition des directives, faite en ces termes malheureux de réception, ce qui interdit toute compréhension de la mise en œuvre de ce type d’actes. La démarche ne consiste d’ailleurs pas tant à révéler par une analyse inversée l’essence du phénomène de l’intégration (le cadre très limité de l’exemple d’un seul Etat membre ne permettrait pas scientifiquement de valider cette ambition), mais plutôt d’illustrer la fin de la « banalisation » du droit de l’intégration européenne et son traitement spécifique par rapport au droit international dans la substance du système juridique français. L’ouvrage vise donc ouvertement à expliciter pour la France ce qui découle du principe d’autonomie institutionnelle et procédurale, curieusement lié aux arrêts Rewe et Comet, qui ne font pourtant que décliner pour sa dimension juridictionnelle un principe posé dans sa généralité par l’arrêt International Fruit Company en 1971.
La matière est définie comme l’ensemble des transformations du fonctionnement du système juridique interne provenant de la participation de la France à l’Union européenne. Ces transformations sont vues successivement sur le plan organique, ce qui met en évidence la spécificité du système institutionnel, puis sur le plan normatif, l’intégration normative réalisant l’unité du système normatif européen.
La spécificité institutionnelle est déclinée en tant que spécialisation structurelle puis fonctionnelle.
La spécialisation structurelle est observée au plan national puis local. S’agissant du plan national, les structures sont présentées successivement pour ce qui est du gouvernement et de l’administration, du Parlement, des juridictions supérieures et des organes indépendants. Tout ceci est bien synthétisé mais en somme assez connu. C’est vraiment moins le cas pour la spécialisation structurelle au niveau local, qui expose de manière très intéressante des éléments rarement présentés.
La spécialisation fonctionnelle est ensuite vue sous l’angle absolument pertinent d’un principe de participation jouant à la fois pour l’élaboration puis pour l’exécution du droit de l’Union (on reconnaît l’approche de la thèse d’un des auteurs, Béligh Nabli, L'exercice des fonctions d'État membre de la Communauté européenne. Étude de la participation des organes étatiques à la production et à l'exécution du droit communautaire. Le cas français, coll. « Nouvelle Bibliothèque de Thèses », Dalloz, vol. 63, 2007, 670 p).
Pour l’élaboration sont distingués les phénomènes de la représentation-négociation, de la consultation, coordination et décision. En matière de « représentation-négociation », on peut regretter (effet du format imposé sans doute) l’analyse insuffisante des fonctions des comités de comitologie, spécialement sous l’angle de la remontée anticipée de l’expérience de ceux qui mettent en œuvre le droit de l’Union, ce qui est pourtant en phase directe avec l’approche générale de l’ouvrage.
L’exécution, quant à elle, est présentée de manière très classique, avec la gradation attendue : exécution normative, exécution administrative, fonctions de contrôle budgétaire, et sanction.
Au total, un véritable apport, et une alliance séduisante entre une approche pratique et institutionnelle peu répandue à certains égards et une vision explicative globale moderne. Dommage que la doctrine sur le principe de coopération loyale soit si peu exploitée, ce principe éclairant pourtant utilement le concept privilégié de « participation ».
La 2° partie présente le système d’intégration normative, et correspond à une vision contemporaine du système normatif, en termes de pluralisme. Si, par la force des choses, elle n’apporte pas beaucoup à ces analyses doctrinales récentes, elle a l’immense mérite d’en donner une traduction pédagogique et synthétique, ce qui est véritablement utile.
Sont présentés successivement le cadre interne d’incorporation des normes, puis le cadre renouvelé d’articulation des normes européennes avec les normes internes.
L’incorporation est étudiée au travers de la ratification (concept il est vrai peu étudié pour le droit de l’Union) puis de l’invocation, la présentation étant sans surprise mais tout à fait claire.
Le cadre renouvelé d’articulation des normes montre ensuite dans toute sa subtilité en quoi la conception normative hiérarchisée est pour le moins réaménagée et souligne l’importance du « dialogue des juges »…
La relation entre les normes internes et le droit de l’Union resterait une relation hiérarchique pour les normes infra constitutionnelles mais ne le serait plus vis-à-vis des normes constitutionnelles. Cette présentation est certes commode, mais n’est pas sans poser des problèmes en ce qu’elle ferait dépendre de la nature de l’acte national la logique d’une relation entre le droit de l’Union et le droit des Etats membres à concevoir en termes d’articulation d’ordres juridiques, donc globalement, spécialement quant à la primauté.
On sera en revanche absolument d’accord sur le fait que le nœud du problème quant à la relation du droit de l’Union avec le droit constitutionnel est celui du « dernier mot », et là apparaît le problème de l’angle d’attaque choisi par l’ouvrage. Difficile de trancher cette question en se limitant au « droit français de l’intégration européenne », le dialogue des juges étant encore en cours et chacun sachant qu’il est fort discourtois de couper une conversation…Imaginons une telle approche « française » sur le rapport de la loi et du droit de l’Union avant l’arrêt Nicolo…le « droit français de l’intégration européenne » aurait alors été très partiel pour comprendre la problématique. Il l’est sans doute aujourd’hui à l’échelon constitutionnel…
Si cette approche a donc ses limites, elle a, comme on a essayé de le souligner, surtout des mérites, et s’il n’est pas dans l’intention des auteurs de voir là une alternative aux présentations plus traditionnelles du droit de l’intégration européenne, on sera d’accord avec eux sur la conviction qu’il y a là un complément tout à fait utile et stimulant à ces présentations classiques.
 

Partager cette page
Twitter Facebook Pinterest

En appuyant sur le bouton "j'accepte" vous nous autorisez à déposer des cookies afin de mesurer l'audience de notre site. Ces données sont à notre seul usage et ne sont pas communiquées.
Consultez notre politique relative aux cookies