Elsa Bernard : La spécificité du standard juridique en droit communautaire
Coll. Droit de l’Union européenne, Bruxelles, Bruylant, 2010 (Recension Annuaire de droit de l’Union européenne 2011)



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Description
Cette thèse fait sans doute partie des « travaux juridiquement indéterminés » dans la mesure où l’on peine à l’enfermer dans un champ disciplinaire particulier. Parcourant l’ensemble du droit de l’Union européenne à la fois dans ses dimensions matérielles et institutionnelles, c’est assurément une belle thèse de droit de l’Union européenne. Mais consistant, tout au long de ses analyses, à réfléchir à la formulation, la détermination, l’interprétation de la norme, c’est aussi une grande thèse de théorie du droit. La solution est sans doute donnée de façon particulièrement pertinente par la préface du Professeur Denys Simon : il s’agit d’une « réflexion fondamentale pour la science du droit ».
On sait que l’intégration européenne bouscule bien des sereines certitudes, en ce qu’elle propose un agencement entre ordres juridiques sur un modèle inédit. On mesurera facilement, dès lors, le potentiel scientifique de la rencontre entre ce cadre si perturbant et l’un des outils juridiques les plus subtils et les plus complexes, suscitant régulièrement la perplexité des observateurs : le standard.
C’est ce qui conduit l’auteur à commencer par une réflexion sur la notion même de standard et l’on appréciera la rigueur et la finesse de l’analyse, permettant de très clairement distinguer, spécialement, le groupe des notions juridiquement indéterminées et l’illustration particulière qu’en constituent les standards.
Cette identification générale permet alors d’investir l’ensemble du droit de l’Union européenne, à la recherche de ces standards juridiques, et la thèse adopte un académisme de bon aloi, celui qui s’éloigne de tout formalisme contraignant et artificiel mais tout au contraire accompagne le travail de l’esprit avec méthode et efficacité. Si l’équilibre est la notion clé qui permet, selon l’auteur, de comprendre l’essentiel de la place spéciale des standards dans le système de l’Union, la thèse elle-même présente à la fois des qualités d’équilibre et de progressivité, de montée en puissance, donnant, certes, du souffle aux analyses, mais garantissant aussi leur caractère abouti, au sens où elles conduisent de façon convaincante à des conclusions éclairantes.
La première partie, de type analytique, va s’employer à recenser les standards en droit de l’Union et à en proposer une typologie selon leur spécificité communautaire intrinsèque. La seconde partie, plus synthétique, et transcendant la diversité mise en évidence en première partie, s’intéresse à la spécificité de la fonction même de cette technique du standard et permet de la relier aux caractéristiques majeures du système européen intégré.
La première partie établit une différence entre des standards à forte spécificité substantielle, et d’autres, à la spécificité moins marquée. Dans le premier cas se trouvent surtout des instruments de régulation des compétences, qui se sont développés en raison de l’indétermination manifeste, dans les traités, du régime de compétences, et dont la teneur est évidemment très spécifique puisqu’indissociable des équilibres essentiels du système communautaire. C’est le cas pour un standard textuel, la subsidiarité, et pour nombre de standards jurisprudentiels, ou du moins considérés comme tels par la thèse, comme la proportionnalité, l’intérêt général ou la coopération loyale. On peut ici regretter une distinction pas toujours rigoureuse entre la répartition des compétences et la régulation de leur exercice, ou encore quelques lectures approximatives de la doctrine relative à tel ou tel de ces « principes ». C’est sans doute là le prix d’une approche assumant un champ d’investigation particulièrement ample et ceci n’affecte jamais l’efficacité de la démonstration. Sont ensuite présentés des standards dont la spécificité matérielle est moindre, et leur nombre plus élevé conduit à en proposer une classification fine, avec des standards « infléchis », comme l’abus de droit, la confiance légitime pour lesquels le juge européen s’inspire d’autres ordres juridiques tout en passant de l’indétermination a priori à la détermination au cas par cas en tenant compte des particularités communautaires. Un autre type d’« inflexion » peut consister à tenter de concilier diverses versions nationales distinctes à la lumière des objectifs communautaires (consommateur moyen, concurrence déloyale). Sont ensuite identifiés des standards « transposés », avec une simple adaptation communautaire (force majeure, bon père de famille, bonne administration…), la transposition étant cependant parfois particulièrement imprégnée du système d’origine, à l’image des standards pour lesquels renvoi est fait à ce système d’origine, spécialement celui de la Convention européenne des droits de l’homme (procès équitable, société démocratique). Enfin sont dégagés des standards « hybrides », plus rares et dont la mixité consiste en ce qu’ils permettent aux Etats membres de déroger au droit de l’Union, selon une indétermination a priori et une détermination au cas par cas particulièrement propice à une gestion souple de situations délicates (ordre public ou exigences impératives d’intérêt général).
La deuxième partie cherche à relier la spécificité fonctionnelle de l’emploi même de cette technique du standard aux caractéristiques du système européen intégré.
Il est logique et pour tout dire assez attendu de s’intéresser d’abord aux particularités du système juridictionnel européen, mais on appréciera ces développements décortiquant le fameux « pouvoir normatif » du juge selon qu’il utilise un standard textuel (dans un tel cas, son rôle normatif est second puisque sollicité par le droit primaire ou dérivé) ou jurisprudentiel (le juge organise lui-même, alors, un cadre d’indétermination devant ensuite être déterminé au cas par cas par lui ou par d’autres autorités). La thèse insiste ensuite sur le rôle tout particulier de régulation des pouvoirs qui incombe au juge communautaire, tant entre les institutions qu’entre ces dernières et les autorités des Etats membres, l’instrument du standard étant particulièrement adapté à cette mission.
La « montée en puissance » du propos culmine dans la mise en évidence finale des liens entre l’emploi spécifique de la technique du standard et la nature même de l’Union européenne et l’on ne peut que partager les conclusions sur le standard en tant que réponse particulièrement adaptée à un droit encadrant essentiellement une activité économique, un droit marqué par la balance des intérêts communs et individuels des Etats, un droit commun se construisant à partir de traditions juridiques différentes, ou un droit devant maintenir son caractère commun tout en admettant des applications différenciées.
Le maître mot, selon Elsa Bernard, est celui d’équilibre. Le système communautaire en est pétri, que ce soit l’équilibre des légitimités, entre institutions, l’équilibre des méthodes, l’intégration supranationale voisinant avec la coopération intergouvernementale, l’équilibre entre le juge européen et les juges des Etats membres, l’équilibre entre le droit et l’économie, ou l’équilibre entre 27 systèmes juridiques nationaux. Le standard juridique est l’instrument par excellence de l’équilibre dans son élaboration, dans son application, dans son contrôle, d’où sa place particulière dans le droit de l’Union européenne.
Si l’on soulignait, au début de ces lignes, la difficulté à positionner cet ouvrage si l’on est un adepte du classement disciplinaire dans sa bibliothèque, il est en revanche certain que tout juriste pourra être heureux de la présence de cette thèse sur ses rayonnages.
 

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