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"Europe fiscale : les récents progrès de la confiance mutuelle"

Article par Sophie de Fontaine, Maître de conférences HDR, IRDEIC et Fabrice Bin, Maître de conférences, IRDEIC - Centre Européen des Etudes Financières et Fiscales (CERFF)

Résumé :
La confiance mutuelle repose sur le postulat selon lequel chacun des États membres respecte, lorsqu'il exerce sa compétence ou met en œuvre les dispositions de droit européen, les impératifs liés à la construction européenne, et, s’agissant plus spécifiquement de la fiscalité, les principes qui sous-tendent le marché intérieur à savoir l'absence d'entraves et d'autre part l'absence de distorsions de concurrence, mais aussi le principe de coopération loyale, formulé depuis le traité de Lisbonne à l'article 4 § 3 du traité sur l'Union européenne (TUE) comme le respect des autres États membre (« L'Union et les États membres se respectent et s'assistent mutuellement »).

Or, dans la pratique, il existe une tension permanente entre confiance mutuelle et franche défiance entre États membres qui explique plusieurs impasses de la politique fiscales. De sorte que L'Union européenne doit désormais s'efforcer  de créer plus activement les conditions de cette confiance, soit par la volonté des Etats membres de faire coopérer plus efficacement leurs administrations fiscales, soit, et c'est un niveau d'intégration supplémentaire, par la jurisprudence développée récemment par la Cour de justice, qui exige des Etats membres qu'ils luttent plus efficacement contre la fraude fiscale, au titre de leurs obligations européennes.



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Le thème de la « confiance » est un thème émergent en droit de l’Union européenne.Après la proclamation contentieuse du principe de « confiance légitime », la référence auprincipe de « confiance mutuelle entre États membres » de l’Union européenne estapparue dans le cadre du marché intérieur. À la base de la reconnaissance mutuelle, il estle postulat ayant permis aux États d’ouvrir leur marché et d’accepter que des produitsobéissant à des réglementations éventuellement différentes puissent être commercialiséssur leur territoire.Ce principe a ensuite été transposé de l’espace économique qu’est le marché intérieurvers l’espace de liberté, de sécurité et de justice. La notion est d’abord apparue comme lacondition politique et sociologique, voire psychologique, nécessaire à la bonne marched’une reconnaissance mutuelle des actes judiciaires. Elle est passée par l’affirmation d’unordre public de plus en plus européanisé formant une sorte de socle commun et laissantmoins de place à l’affirmation de particularismes nationaux.Aujourd’hui, elle prend corps autour d’une série d’exigences très concrètes quiconstituent en quelque sorte les marqueurs de cette confiance. Concrètement, elle fondedes instruments aussi déterminants que le Mandat d’arrêt européen ou le RèglementDublin en matière de répartition des demandeurs d’asile ou l’exécution des peines.Les rares études consacrées à la question, en langue anglaise, n’ont de cesse d’interrogerla définition, le fondement, le statut, la nature et la portée de cette notion, ce qui n’a pasempêché la Cour de justice d’en souligner « l’importance fondamentale » dans son avis2/13 sur l’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne des droits del’homme. La Cour y souligne qu’une « telle construction juridique repose sur la prémissefondamentale selon laquelle chaque État membre partage avec tous les autres Étatsmembres, et reconnaît que ceux-ci partagent avec lui une série de valeurs communes surlesquelles l’Union est fondée, comme il est précisé à l’article 2 TUE. Cette prémisseimplique et justifie l’existence de la confiance mutuelle entre les États membres dans lareconnaissance de ces valeurs et donc dans le respect du droit de l’Union qui les met enœuvre ».La poly-crise que traverse l’Union européenne tant du point de vue du lien politique entreses membres que face à la vague terroriste ou à la crise migratoire, sans parler desremous traversés par le marché intérieur et la libre circulation des travailleursoblige à uneréflexion d’une grande ampleur à ce sujet.


Confiance mutuelle et droit fiscal de l’Union européenne

Il peut paraître surprenant de traiter de fiscalité à propos du thème de la confiance mutuelle au sein de l’Union européenne. Certes, il existe un domaine de la politique fiscale dans lequel une telle confiance est souhaitée, celui de l’amélioration des relations entre l’administration et le contribuable. Mais ce sujet ne correspond pas directement au thème du présent ouvrage. D’un autre côté, le droit fiscal a été intégré à la problématique actuellement bien connue des pénalistes en matière de confiance mutuelledans l’espace de liberté de sécurité et de justice (ELSJ): l’assistance mutuelle en matière de recouvrement peut êtrerefusée en cas d’atteinte aux droits fondamentaux. Mais le sujet de la confiance mutuelle présente une dimension plus large en droit fiscal, dimension originaire et particulière au droit du marché intérieur. C’est cette dimension fiscale qui constitue logiquement le sujet de la présente étude.En effet, si plusieurs éléments du droit fiscal ont été «harmonisés», ou plus exactement unifiés, au sein de l’Union (le cas le plus important étant celui de la taxe sur la valeur ajoutée), la politique fiscale interne de l’Union se résume à une concurrence fiscale que, pour ne pas la qualifier d’acharnée, on qualifie de dommageable quand elle atteint des limites difficilement supportables. Pourtant, la confiance est indispensable au droit fiscal comme au marchéunique.Droit fiscal et confianceLe droit fiscal s'est initialement construit sur le postulat de l'unilatéralité de la décision et de l'action étatique. Pour autant, et peut être paradoxalement, la fiscalité plus que tout autre domaine nécessite de laconfiance. Il est désormais admis, même si la réalité diffère grandement, que l'exercice du pouvoir fiscal des États ne peut s'exercer pleinement et efficacement en l'absence de confiance. Confiance des citoyens dans le système d'imposition qui leur est appliqué, confiance dans l'administration en charge de le faire. Confiance entre les États afin que chacun accepte des règles internationales qui assure une répartition équitable des ressources. Les deux aspects de cette confiance sont d'ailleurs liés. Au plan européen, la question de la confiance mutuelle ne se pose pas de la même manière qu'au plan international. Alors qu'au plan international, la confiance mutuelle entre États ne peut être postulée comme existant entre États membres, elle est rendue indispensable par la construction du marché intérieur et rendue possible par l'action des institutions européennes. Et l'action de ces institutions européennes pourrait en ce sens légitimer et renforcer la confiance des contribuables français envers l'Unioneuropéenne. La confiance mutuelle est aussi indispensable au bon fonctionnement du marché intérieur dans lequel coexistent plusieurs ensembles normatifs fiscaux distincts et même une concurrence normative en matière fiscale. Confiance mutuelle en matière fiscale et marché uniqueSi la confiance mutuelle est une exigence d’abord née pour le fonctionnement du marché, elle s’est depuis fortement développée dans le cadre de l’ELSJ. En matière de droit fiscal, la confiance mutuelle correspond à la dimension commerciale d’origine, au service de laquelle elle justifie une «présomption de régularité». Elle est une garantie indispensable à la libre circulation au sein du marché unique et ce, sous un triple point de vue: celui des États membres, des contribuables et des administrations fiscales. La confiance mutuelle est non seulement indispensable à la construction du marché européen, mais également au plein exercice par les États membres de leur souveraineté fiscale, en ce qu’elle est la seule manière deréduire au maximum les effets délétères de la juxtaposition de divers systèmes normatifs nationaux européens. La confiance mutuelle est tout aussi indispensable pour les contribuables qui opèrent sur le marché intérieur que pour les États membres. Mais parce que la présomption d'une confiance acquise ne peut être suffisante, l'Union européenne se doit également de mettre en place les conditions de l'émergence de cette confiance dans le domaine fiscal. De la même façon qu’en matière de reconnaissance des diplômes, cette confiance mutuelle permet d'assurer les libertés de circulation sans entrave pour les contribuables et permet aux États de lutter contre les pratiques de fraude et d'optimisation fiscale. La confiance mutuelle permettrait ainsi qu’un contribuable puisse se prévaloir de sa situation fiscale dans un État membre auprès des autorités d’un autre État membre et à ce titre puisse éviter des doubles impositions, notamment pour des impôts pour lesquels les dispositions conventionnelles sont inopérantes, par exemple la TVA. La confiance mutuelle, enfin, est nécessaire pour les Administrations fiscales, tout d’abord par la mise en place d'un espace européen de concertation, ensuite par la possibilité de sanctionner les comportements déloyaux.
Mais si la confiance mutuelle est indispensable en matière fiscale, notamment au sein du marché unique, est-elle pour autant garantie par le droit de l’Union européenne? La confiance mutuelle repose sur le postulat selon lequel chacun des États membres respecte, lorsqu'il exerce sa compétence ou met en œuvre les dispositions de droit européen, les impératifs liés à la construction européenne, et, s’agissant plus spécifiquement de la fiscalité, les principes qui sous-tendent le marché intérieur à savoir l'absence d'entraves et d'autre part l'absence de distorsions de concurrence, mais aussi le principe de coopération loyale, formulé depuis le traité de Lisbonne à l'article 4 § 3 du traité sur l'Union européenne (TUE) comme le respect des autres États membre (« L'Union et les États membres se respectent et s'assistent mutuellement »). Or, dans la pratique, il existe en Union européenne une tension permanente entre confiance mutuelle et franche défiance entre États membres (I) de sorte que L'union européenne doit s'efforcer désormais de créer plus activement les conditions de cette confiance (II).

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