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"L’article 53 de la Charte des droits fondamentaux confronté à la primauté : la faveur pour la clause la plus protectrice est-elle compatible avec un ordre juridique d’intégration ?"

Article paru dans l'ouvrage "Réseau de normes, réseau de juridictions", Collection Horizons européens, Edition Mare & Martin, 2021.

Marc Blanquet, Professeur à l’Université Toulouse Capitole, Directeur du Centre d'Excellence Jean Monnet.

Le questionnement qui m’a été soumis doit être précisé.


Il est vrai que l’article 53 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne est souvent présenté comme étant la traduction particulière dans cette Charte d’un principe plus général de faveur pour la clause la plus protectrice qui jouerait en matière de protection des droits de l’homme. L’exploration du droit international permet d’observer qu’il s’agit bien d’une règle de détermination du droit applicable pour la protection des droits fondamentaux, dans une hypothèse où plusieurs règles, d’origines distinctes, sont simultanément applicables et forment une situation de concours plus que de conflit normatif. En effet, il ne s’agit pas d’un conflit au sens où s’opposeraient des règles posant des droits ayant des titulaires différents, ou consistant en des droits fondamentaux différents, mais des règles donnant à un seul titulaire une même garantie d’un même droit fondamental, dans un même objectif, mais à deux niveaux distincts d’équilibre avec les contraintes collectives, de sorte que selon la règle qui sera applicable, la protection jouera ou non. Il est indiscutable que de très nombreuses conventions internationales de protection des droits de l’homme contiennent ce type de clause interdisant que leurs dispositions soient interprétées dans un sens qui aurait pour effet de restreindre la protection dont les individus bénéficient en vertu d’autres accords internationaux ou du droit national, les particuliers bénéficiant alors toujours de la clause la plus favorable, la portée juridique de ces stipulations étant alors a priori indiscutable dans le champ de ces instruments. Au-delà, certains considèrent que cette fréquence pourrait générer une forme de coutume internationale régissant les relations entre les conventions internationales dans ce domaine. Dans son cours à l’Académie de La Haye, en 1987, Emmanuel Roucounas affirme ainsi qu’il existe (en droit international des droits de l’homme) « un principe général d’applicabilité, en cas de coexistence, des normes les plus favorables en vigueur ». Il semble que l’on puisse dès lors admettre que la faveur pour la clause la plus protectrice caractérise les systèmes internationaux spécialisés, relevant de la branche particulière du droit international ou de la nouvelle discipline qu’est le droit international des droits de l’homme. Elle participe de ce que Frédéric Sudre a appelé la « logique des droits de l’homme » inhérente à la fonction des juridictions spécialisées dans la protection des droits de l’homme mais qui ne joue pas pour les cours ordinaires, quand bien même elles exerceraient une fonction touchant aux droits de l’homme. Bref, c’est la singularité des cadres conventionnels et des fonctions juridictionnelles spécialisés dans la protection des droits de l’homme qui conduit à cette clause de faveur pour les dispositions les plus protectrices. Difficile en tous cas d’y voir un principe juridiquement contraignant qui s’imposerait dans un cadre plus général et à des juges non spécialisés comme la Cour de justice.
 

Par ailleurs, il faut relever très simplement que la clause de faveur, en tant que méthode, ou technique, n’est pas en soi incompatible avec un ordre d’intégration et on en donnera deux aperçus.

D’abord dans certains États fédéraux, c’est-à-dire là où peut a priori se poser cet autre épineux problème qu’est le confit interconstitutionnel, on trouve en tant que solution de gestion le recours au principe de la clause la plus favorable. L’exemple suisse montre un principe peu en vue mais réel. En 1991, Jean-François Aubert observe la coexistence de normes protégeant les droits fondamentaux respectivement dans la Constitution fédérale et la constitution d’un canton et observe que le seul cas délicat concerne l’hypothèse d’une garantie fédérée plus protectrice que la garantie fédérale. Pour J.-F. Aubert, rien n’empêche le cadre constitutionnel fédéré de positionner l’équilibre entre un droit fondamental et l’intérêt public permettant de le limiter de façon plus libérale qu’au niveau fédéral. Mais pour lui, le système juridique suisse ne peut admettre que ceci se traduise par une atteinte à une liberté fédérale ou à une autre règle impérative du droit fédéral. Michel Hottelier admet par ailleurs que cela ne se traduit qu’exceptionnellement par une prévalence du niveau local le plus favorable. L’exemple des États-Unis montre aussi que la garantie fédérée plus protectrice des droits fondamentaux peut l’emporter sur le niveau fédéral. Certains tentent de relativiser ces exemples, à l’image d’Edouard Dubout, soit en y voyant la preuve d’une « maturité » que n’aurait pas encore atteint l’Union, de sorte que l’unité du système juridique fédéral pourrait se permettre une telle « faveur », alors que celle de l’ordre juridique de l’Union en serait affectée, soit en voyant dans les cas suisse et américain deux exceptions. Mais ces exemples empêchent cependant de conclure à la question posée que ce principe de faveur appliqué à la protection des droits fondamentaux serait totalement incompatible avec un système d’intégration.


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