Les catégories juridiques du droit de l’Union européenne Sous la direction de Brunessen BERTRAND
Coll. Droit de l’Union européenne – colloques Bruylant 2016 (Recension Annuaire de droit de l’Union européenne 2016)



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Description
L’idée de réfléchir aux catégories juridiques du droit de l’Union européenne, que l’on doit à Brunessen Bertrand, conduit à un travail d’une ampleur peu banale et d’un intérêt majeur que l’on pourrait placer sous le double parrainage prestigieux d’un Jean Rivéro faisant l’apologie des faiseurs de système et d’un Charles Eisenmann dressant la liste des problèmes de méthodologie liés aux classifications de la science juridique. Quel autre thème permettrait de s’intéresser à la fois globalement à l’évolution du droit de l’Union, sa sophistication, la tension entre le pragmatisme caractérisant les traités et le réflexe systématisant de la Cour, le positionnement de l’ordre juridique de l’Union par rapport aux systèmes juridiques des Etats membres et vis-à-vis de l’ordre international, et de façon plus analytique aux notions de base du droit institutionnel, du droit du marché intérieur et du droit public de la concurrence ? On perçoit d’emblée la richesse de ce que peut apporter une telle réflexion à la compréhension du système juridique de l’Union, l’impression de panorama général n’étant affectée que par la limitation de la dernière partie au droit « public » de la concurrence et à l’absence de l’espace de liberté, de sécurité et de justice. S’intéresser aux catégories juridiques présente même à certains égards un degré d’introspection supérieur à des recherches a priori comparables dans leur ambition pouvant porter sur les notions, les concepts, ou même les principes d’un système juridique[1], la « catégorie » étant plus « structurante » en ce qu’elle se situe toujours dans le cadre d’une distinction, d’une typologie, et en ce qu’elle commande (ou devrait commander) une qualification juridique, participant donc à la fois de la théorie et de la pratique du droit.

Mais si l’ampleur et la profondeur de la recherche sont évidentes, ses orientations successives lui donnent encore des dimensions et des attraits supplémentaires.

 Le questionnement porte d’abord, en effet, sur le phénomène juridique même de la catégorie juridique (B. Bertrand), la contribution indéniable et positive à la « qualité du droit » n’empêchant pas de faire des constats d’incomplétude (mise en évidence aussi par C. Rapoport), ou de carence de certaines catégories, ou de mettre en évidence les difficultés de combinaison des catégories, avec la confusion ou la porosité entre elles (par exemple en droit social européen, cf. F. Michéa). O. Dubos, à propos des « Agences », relativise aussi la fonction, pourtant souvent soulignée comme essentielle pour toute catégorisation (par exemple A. Hamonic pour les catégories d’accords externes, V. Michel pour le droit du marché intérieur, D. Truchet pour les catégories de service public, ou J. Sirinelli pour les aides d’Etat) de la qualification juridique, l’appartenance d’une agence à telle ou telle catégorie (on en distingue cinq) ne commandant en rien l’application de tel ou tel régime juridique. Pour autant, cela ne le conduit pas à désespérer de la catégorisation puisque, déçu par les catégories d’agences, il propose une catégorisation plus significative de leurs pouvoirs. Si cette fonction de base de la catégorie consistant à déterminer l’application d’un certain régime juridique est souvent mise en évidence, la démonstration va plus loin, révélant que derrière la fonction se cache parfois l’instrumentalisation, J. Sirinelli mettant ainsi au jour, à propos des aides d’Etat, le subtil va-et-vient de la part du droit de l’Union européenne, tant la jurisprudence de la Cour que la pratique de la Commission, consistant à d’abord élargir le périmètre d’une catégorie pour mieux affirmer l’emprise européenne, avant de légitimer la chose et la rendre acceptable et acceptée par les autorités nationales par une définition progressive et pragmatique de dérogations ou autres limitations. L’approche du phénomène est enfin épistémologique, avec notamment F. Martucci, pour qui les catégories sont aussi des discours, ce qui charge de sens l’analyse, même si ses conclusions sont finalement assez pessimistes sur la cohérence d’ensemble qui peut se dégager.

L’approche se fait comparatiste quand, par exemple, sont rapprochées les catégorisations respectives du droit de l’Union (plutôt fonctionnelles, ce qu’illustre notamment F. Michéa pour le droit social) et du droit français (démarche plus théoricienne ou cartésienne) (G. Eveillard). Au-delà des comparaisons, la recherche sur l’autonomie et les influences entre les catégories en droit de l’Union et celles, respectivement du droit international (G. Le Floch) et des droits nationaux (J. Petit pour le cas du droit administratif français), proposent des clés particulièrement intéressantes au service des débats fondamentaux sur la nature même de l’Union européenne et sur la spécificité de l’intégration, même si les conclusions se font plutôt – de manière attendue mais certainement inévitable - en termes de « perméabilité relative », et d’« influence limitée ». L’analyse va parfois plus loin, D. Truchet, même s’il adhère à ce courant de la « convergence partielle », osant par exemple la métaphore aéroportuaire en voyant dans les catégories juridiques des « hubs » entre droit interne et droit de l’Union, d’autres développements essayant d’éclairer la complexe dialectique entre le renvoi du droit de l’Union aux catégories juridiques des droits nationaux et la subtile « reconfiguration » de ces catégories nationales par le juge européen, ou la stratégie de « résistance » de celui-ci au regard de ces renvois (F. Michéa en fait l’efficace démonstration dans le domaine sensible du droit social européen). Ph. Maddalon affine encore le trait en évoquant ce qu’il appelle le « recouvrement » des catégories nationales par la Cour de justice, ce « décalage des catégories » opérant par les techniques du changement de mots ou du changement de l’emploi des mots. Les conclusions peuvent aussi se faire incisives, G. Eveillard, à propos du régime des contrats publics, jugeant que le registre de l’influence est dépassé et que c’est d’un alignement qu’il faut parler, même si, pour la classification de ces contrats, on retrouve une « influence » mesurée de façon assez académique par la mise en miroir d’un enrichissement et d’une perturbation des catégories nationales par le droit de l’Union.

L’analyse est sans concession, souvent très fine à l’image de la catégorie de l’acte législatif, dont D. Ritleng fait ressortir les différents ressorts d’une indiscutable détermination avant d’en montrer les failles en cascade, les approximations du critère organique et procédural affaiblissant la définition matérielle et le régime contentieux a priori identitaires de la catégorie. Finesse également quant à la catégorisation des accords externes, l’existence d’un régime juridique de droit commun, avec l’article 218 TFUE, imposant une unité pour la catégorie des accords externes de l’Union conduisant à la non-pertinence de nombre de catégorisations formelles ou matérielles à la source de diverses distinctions entre accords en droit international. Et c’est paradoxalement le même régime central de l’article 218 qui permet d’identifier des variables dès lors constitutives de catégories, matérielles ou formelles, spécifiques au droit de l’Union. C’est également une « micro-analyse » que mène V. Michel dans le domaine du marché intérieur, en ce qu’elle montre le brouillage des catégories (les différentes entraves et discriminations spécialement) par l’approche commune à plusieurs libertés de circulation ou le phénomène du passage d’une liberté à l’autre, l’étude ne se contentant pas d’une critique facile vis-à-vis d’une jurisprudence parfois assez déconcertante il est vrai mais cherchant systématiquement le sens, la signification, la stratégie derrière l’apparent manque de rigueur du juge. On retrouve cette vision constructive transcendant la simple critique dans le « pragmatisme politique » que salue F. Michéa à propos de l’arrêt AMS dont on avouera avoir du mal à suivre les lignes strictement juridiques, ou encore dans la mise en évidence par Ph. Maddalon d’un idéal libéral que servirait l’indétermination des catégories juridiques. Ceci révèle une « catégorie » supplémentaire dans les multiples apports de cet ouvrage, la dimension politique, la structuration ou l’indétermination des catégories juridiques révélant des orientations idéologiques, libérales donc pour Ph. Maddalon, ou relevant de l’économie sociale de marché pour F. Martucci, qui transcende le « foisonnement catégoriel » par la mise en évidence de lignes directrices à signification constitutionnelle, les catégories pouvant être liées à la limitation du pouvoir ou à la jouissance des droits.

 La vision offerte par l’ouvrage est également dynamique, notamment dans les conclusions de C. Blumann mettant en évidence à la fois les catégories en forte croissance et celles qui subissent l’usure de la pratique et du temps, le tableau dessinant évidemment en filigrane les évolutions significatives de l’intégration européenne elle-même, qu’il s’agisse de la constitutionnalisation par l’établissement d’un système clair de compétences et la finesse des classifications en matière de droits fondamentaux (C. Rapoport explore également cette constitutionnalisation sous l’angle des catégories organiques), ou de la sophistication des régimes d’action publique, que ce soit le service public, les aides d’Etat ou les contrats publics. Significatives sont également les catégories par lesquelles le droit de l’Union donne un statut à l’individu[2] (A. Iliopoulou-Penot), le passage du travailleur au citoyen étant une projection du trajet fonctionnaliste allant de la CEE à l’Union actuelle. On découvre même des catégories nouvelles, en voie d’émancipation de la catégorie des principes généraux du droit de l’Union, comme les « principes du droit social de l’Union revêtant une importance particulière » (F. Michéa). Quant à la mise en évidence de la similarité des catégories entre le droit économique et les droits de l’homme en droit de l’Union (Ph. Maddalon), on devine en quoi c’est là non seulement un révélateur de la trajectoire de l’intégration mais aussi la mise en évidence d’une ambiguïté de fond conduisant encore la Commission spécialement à se raccrocher à son « cœur de métier » économique, y compris dans des nouveaux domaines où l’objectif d’intérêt général devrait suffire à légitimer son action.

On sait le rôle essentiel du droit dans l’intégration européenne… On mesure par là-même toute la richesse de cette étude de la structuration du droit pour cette intégration…

 

 

[1] L’approche sous l’angle des principes pouvant cependant apparaître comme plus éclairante sur la logique ou la dynamique d’un système.

[2] L’individu, et même « l’individu autonome », pour Ph. Maddalon, est une catégorie à part entière du droit de l’Union.

 

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