Valérie Michel : « Recherches sur les compétences de la Communauté européenne »,
L’Harmattan, collection Logiques juridiques, 2003, 704 pages (recension : Annuaire de droit européen 2003)



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Description
L’intelligence du phénomène communautaire exige l’identification et la compréhension d’un système très particulier et peu formalisé de compétences, véritable sous-bassement et pièce constitutive essentielle de l’ordre juridique communautaire.
Il fallait un certain courage pour investir à nouveau ce grand sujet, ce que l’on n’osait guère plus faire depuis la thèse magistrale de Vlad Constantinesco (« Compétences et pouvoirs dans les Communautés européennes. Contribution à l’étude de la nature juridique des Communautés européennes », Paris, LGDJ, Bibl. de droit international, 1974) ; ce courage, quelques jeunes universitaires l’ont eu ces dernières années, comme Kosmas Boskovits (« Le juge communautaire et l’articulation des compétences normatives entre la Communauté européenne et ses Etats membres », Athènes/Bruxelles, Sakkoulas/Bruylant, 1999) et Valérie Michel, qui publie aux éditions L’Harmattan un ouvrage tiré d’une thèse de doctorat soutenue le 22 décembre 2000 sous la direction de Philippe Manin, se donnant pour ambition de tracer, au moyen d’une systématisation, et de typologies qui lui sont souvent propres, le panorama d’une situation embrouillée, et ceci alors même que s’annonçait une réforme d’ampleur sur ce sujet avec la perspective « constitutionnelle » européenne, spécialement ouverte par la déclaration n° 23 annexée au traité de Nice, réclamant une « délimitation plus précise des compétences entre l’Union et les Etats membres ». Là se situe, certainement, le problème principal, et là se trouve, clairement, l’intérêt majeur de l’étude de Valérie Michel. L’auteur n’a nullement pour ambition d’élaborer ou renouveler une théorie générale des compétences qu’elle considère d’ailleurs comme une illusion, mais d’identifier les logiques, les équilibres gouvernant le système des compétences de la Communauté, et non, on peut le noter, de l’Union européenne, dont l’hétérogénéité aurait rendu vaine toute tentative de systématisation
Le résultat n’est pas sans susciter chez le lecteur une satisfaction que l’on peut comparer à celle qu’il arrive de ressentir devant un ordinateur en train de défragmenter un disque dur, réorganisant les données, comblant les espaces entre les fichiers et rétablissant des alignements cohérents.
La thèse repose sur l’idée qu’un équilibre existe entre la volonté des Etats de garder la maîtrise de leur « œuvre » et la dynamique propre, institutionnelle, des Communautés. Si le régime de l’attribution des compétences correspond à une relative dilution du pouvoir créateur des Etats (1° Partie), ces derniers ont renouvelé leur emprise en l’appliquant aux conditions d’exercice des compétences communautaires (2° Partie).
Sans surprise, la première Partie examine successivement le principe des compétences d’attribution (ce qui est notamment l’occasion de proposer plusieurs typologies des compétences), puis leur adaptation, située entre consensualisme et action communautaire unilatérale. S’enchaînent ici plusieurs classifications : matérielle, fonctionnelle, et, plus personnelle, une classification « organique » distinguant des compétences à titulaires multiples et des compétences à titulaire unique.
La deuxième partie présente la formalisation du régime de l’exercice des compétences comme ayant permis l’affermissement des compétences communautaires (Titre 1), avec les questions de l’intangibilité des compétences communautaires, de la résorption des lacunes, de la préemption, avant de traduire un renouveau de l’emprise étatique (Titre 2), par le biais des principes de subsidiarité, de proportionnalité, ou des coopérations renforcées…
Outre le caractère systématique de l’étude, on peut ranger à son actif le dépassement de la césure « compétences exclusives / concurrentes », et l’accent mis sur la place des Etats membres dans ce système, en tant que clé, au-delà du rôle de la Cour de justice, parfois seul perçu.
L’ouvrage présente et révèle d’indiscutables qualités.
D’abord, la qualité de l’analyse juridique, la thèse permettant à l’auteur d’explorer de très nombreuses questions de droit institutionnel ou matériel, dans les différents secteurs du droit communautaire, avec une constante pertinence et précision.
En second lieu, un talent de « faiseuse de systèmes » : Valérie Michel parvient à mettre de l’ordre dans l’enchevêtrement des compétences, ce qui est une réussite à la fois scientifique et pédagogique, en même temps qu’une source d’inspiration précieuse en ces temps de fièvre « conventionnelle » et « constituante ». Il est, en chimie, des produits dits « clarificateurs », comme, par exemple, le sulfate d’alumine, et cet ouvrage, à certains égards, en remplit la fonction.
Ensuite, un esprit de synthèse lui permettant toujours de rassembler ses conclusions ponctuelles sous un axe significatif, que ce soit en termes « politiques » d’emprise des Etats membres, ou sur un terrain plus juridique et théorique, de « fonction », ou d’intérêt général communautaire, ou d’évolution de celui-ci qui contiendrait désormais, au-delà de la seule logique des intérêts communs, une prise en considération de l’intérêt des parties composantes.
On ne peut, par ailleurs, qu’être sensible à l’accompagnement scrupuleux d’un lecteur qui, à l’exception peut-être d’une introduction générale qui aurait pu être plus étoffée, trouve sans cesse ses repères dans le fil de la démonstration : introductions, liaisons, conclusions partielles ou générale sont particulièrement soignées.
La densité d’ensemble est élevée, juste altérée par quelques impressions de redite, suscitées certainement par ce souci pédagogique conduisant à bien et presque trop rappeler les bases de chaque étape du raisonnement.
Au-delà, l’ouvrage sera un instrument particulièrement utile en tant qu’il constitue une ouverture efficace vers un vaste champ doctrinal, au moyen d’un appareillage de notes très réussi, à la fois instrument de cohérence de l’ensemble et deuxième niveau de lecture. De même, la bibliographie est impressionnante, qui couvre plus de cent pages et obéit à une construction thématique (plus de cinquante rubriques, elles-mêmes agencées selon un plan de deux pages, tant la taxinomie en est complexe). Il s’agit là d’un travail considérable, même si l’utilisation de ce type de bibliographies, il faut l’admettre, n’est pas toujours des plus simples.
Au total, l’étude de Valérie Michel apparaît comme la reconstruction clarifiée d’un pan essentiel du droit communautaire général, ce qui révèle en son auteur un authentique enseignant chercheur, dans les deux dimensions de sa mission, ce que n’a pas manqué de reconnaître, en juin 2004, le jury de l’Agrégation des Facultés de droit.
 

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